Amicale des Anciens et Amis du 1er Régiment de Cuirassiers

   A LA POINTE DU COMBAT (2° partie)

Mémoires de guerre d’un jeune cuirassier

par BARTHELEMY PAUL, ANCIEN DU 2e ESCADRON, 1er CUIRASSIERS

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Rappel: Ceci est le récit des opérations que mena le 2e escadron du 1er Cuirassiers du 9 octobre 1944 au 8 mai 1945. Dans ces pages du journal qui fut le sien je me suis permis d’insérer quelques notes personnelles sur les événements que j’ai vécu pendant toute cette campagne.

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Barthélemy Paul à Kaysersberg en 1987

 

Deuxième partie: du 19 novembre au 30 novembre 1944

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Marquage des chars du 1er cuirs et du 2e escadron fin 1944

 

19 NOVEMBRE 1944 :

La guerre était présente partout, elle était toujours là, elle était encore là dans l’uniformité des coteaux tous semblables, tragiquement monotones, comme si la vie les avait fuis.

Nous sommes relevés; on se repose un peu et à 17h30 l’escadron fait mouvement sur HERICOURT ou nous cantonnons dans un ancien hôpital. Je n’avais jamais eu aussi froid que cette nuit-là depuis le début de l’offensive. Nous montons quelques lits de fortune à même le sol cimenté sous des galeries vitrées.

 

20 NOVEMBRE 1944 :

Le lendemain, on nous annonce que nous allons foncer sur l’ALSACE, mais il y a un tel embouteillage que nous parcourons péniblement 25 km dans la journée. Nous passons par MONTBELIARD.

 

21 NOVEMBRE 1944 - CONTRE-ATTAQUE ENNEMIE A COURTELEVANT :

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Nous devons nous porter sur le canal du Rhône au Rhin, mais entre-temps une forte contre-attaque ennemie se déclenche à FAVEROIS. Il faut se mettre en garde face au nord à COURTELEVANT. Aussitôt notre escadron est immédiatement employé à la défense du village. Nous ne sommes plus que 9 chars sur 13. les 4 autres se sont embourbés à cause de l’embouteillage routier. L’ennemi attaque avec deux bataillons venant de NORVEGE, appuyés par une demi-douzaine de chars. Nous avons devant nous les restes d’une panzerdivision très mordante.

Face à nous dans la forêt, on ne distingue pas encore l’ennemi, ni ses batteries, ni son infanterie mais nous savons qu’il va bientôt déboucher de la lisière. De temps en temps avec son artillerie il tire sur nos positions. nous harcelant de minendiefer.

Les collines des alentours se pavanent dans le brouillard de soufre et le champ de bataille baigne déjà dans une boue jaunâtre mêlée de neige. Au fur et à mesure que les pelotons de chars se présentent aux abords du village, chaque aide-conducteur est réquisitionné avec sa mitrailleuse pour venir se poster dans un repli de terrain favorable donnant ainsi un point d’appui feu important. Tout autour de nous notre infanterie est déployée et bien dissimulée, prête à subir le choc de l’ennemi.

Les équipages ont l’oeil rivé sur leur périscope et sont impatients de rentrer dans l’action. Soudain sortant de la clairière, une première vague ennemie s’avance sur une seule ligne en chantant.

On les laisse approcher au plus près puis nous ouvrons le feu. Un déluge de balles de tous calibres fauche les rangs adverses. Aucun attaquant ne pourra se relever. Une seconde vague d’assaut se présente utilisant la même tactique que la première, mais avec cette différence que plus personne ne chante… Elle est anéantie comme la première! Une troisième vague encore plus impressionnante que les deux précédentes se présente à son tour : le premier rang est également complètement anéanti, le reste reculant en débandade. Ce jour-là des erreurs de tactique avaient manifestement été commises par ce bataillon d’infanterie ennemi qui s’était jeté contre nous.

De nombreux cadavres jonchent le champ de bataille. Ce bataillon avait tenté d’empêcher à tout prix l’arrivée d’un convoi d’essence destiné au ravitaillement de la 1re Division Blindée à court de carburant. L’ennemi venait de subir un échec cuisant.

De notre côté nous déplorons la perte d’un de nos chars et de quatre hommes d’équipage, tirés à 2 km de distance! D’autres chars furent eux aussi touchés mais ne subirent que quelques dégâts matériels de moindre gravité.

 

22 NOVEMBRE 1944 :

Nous sommes au village de DESLE ou nous couchons dans des granges C’est vers une heure du matin que nous fûmes réveillés par un puissant duel d’artillerie de part et d’autre du front.

Le long de la route que nous avions emprunté pour parvenir jusqu’ici il y avait de nombreux chars ennemis et véhicules chenilles hors d’usage qui jalonnaient un chemin de terre parallèle, probablement bombardé par notre aviation.

De partout l’ennemi fuyait en direction de l’est à portée de nos canons. Les colonnes s’infléchissaient pour échapper à notre coup de boutoir. Nous avons eu deux blessés par des tirs d’artillerie.

 

23 NOVEMBRE 1944 :

Notre escadron fait mouvement sur SEPPOIS (Haut-Rhin). Sur toutes les routes menant vers l’est roulent d’interminables colonnes de véhicules et de blindés. Le nombre d’engins est tel que des files interminables s’étirent à travers champs, laissant derrière elles des stries capricieuses dans la neige. Les chenilles soulèvent des éclaboussures d’eau et de glace à travers d’immenses flaques. Tout craque.

Nous passons la nuit à SEPPOIS.

 

24 NOVEMBRE 1944 :

Notre escadron va assurer la défense de CARSPACH, tout près d’ALTKIRCH

 

26 NOVEMBRE 1944 : ATTAQUE DU VILLAGE DE BALLERSDORF :

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Notre approche sur le village de BALLERSDORF tenait du prodige. Le sol où nous évoluons est dur comme de la pierre, les crevasses et les trous d’eau sont recouverts d,une épaisse couche de glace, balayée par une poudre neigeuse. Il soufflait ce jour-là un vent de neige froid, on entendait sans cesse l’aboiement d’un canon qui tirait on ne sait d’où. Le ciel était bas et gris,et le brouillard déformait toute chose semblant écraser nos colonnes en marche. Les hommes, les blindés semblaient des fantômes de neige. Dés que nous fûmes à proximité du village, nous aperçûmes quelques silhouettes qui se terraient craintivement dans des trous et des caves et portes cochères.

Prés d’un chemin de terre gisait un char ennemi disloqué qui avait perdu ses chenilles. Il avait du recevoir un coup de plein fouet. Sa tourelle portait de larges déchirures béantes.

Le corps du conducteur était encore à son poste affreusement mutilé, méconnaissable. Une écume sanglante tapisse l’intérieur de la caisse...

Après un moment d’hésitation, nos sections d’infanterie s’incrustent dans quelques replis de terrain, dans des trous d’obus à proximité des premières maisons. Avant que les éclats d’obus viennent cribler le sol devant nos chars, mitraillette au poing, elles pénètrent prudemment dans le village.

Près de leurs pièces disloquées, deux soldats ennemis gisent écartelés au milieu de sacs de sable éventrés. La façade d’une maison qui devait abriter les mitrailleuses d’un point d’appui ennemi est criblée d’impacts de toutes sortes. Une odeur de poudre et de bois brûlé nous prend à la gorge. Quelques obus viennent s’abattre sur le village par intermittence.

Les légionnaires protégés par nos chars avancent mètre par mètre. Un légionnaire d’un geste prompt dégoupille une grenade et la lance. Un éclair suivi d’une explosion : des cris et des gémissements se font entendre. Fortement soutenus par nos chars, l’infanterie attaque sans relâche. Sous la pression l’ennemi recule tout en combattant, ne se considérant pas comme battu. Il lance des salves de minens dont les fragments viennent frapper les caisses de nos chars. Malheureusement un de ces éclats vient frapper l’un de nos chefs de char au moment où il sort la tête de sa tourelle; il est tué sur le coup.

Les fantassins retiennent leur souffle et laissent passer le déluge. Ils attendent. Plus que 400 mètres les séparent du bout du village d’où l’on aperçoit la lisière de la forêt où le gros de l’ennemi s’est replié. Nous tirons comme des possédés. Les canons et les mitrailleuses de nos chars crachent la mort.

Nous voulons en finir au plus vite car la nuit ne va pas tarder à venir. Au milieu de la bataille la légion se trouve renforcée par un bataillon de jeune F.F.I.. Plusieurs ennemis sont encerclés, réfugiés dans une cave. Les légionnaires s’approchent prudemment, un des leurs s’avance et leur demande de se rendre sous peine d’être anéantis. L’officier qui les commande refuse disant qu’il préfère mourir pour son Führer que de subir la honte de la captivité. Les légionnaires leur donnent encore un délai pour se décider. Un moment encore puis nous voyons un drap blanc sortir d’un soupirail; une trappe s’ouvre, c’est à ce moment-là que des coups de feu éclatent à l’intérieur de la cave. Nous-nous demandons ce qui se passe... Nous ne saurons plus tard après l’interrogatoire des quelques rescapés faits prisonniers qu’au moment de l’ultimatum les uns voulaient se rendre alors que ceux qui étaient les plus fanatiques voulaient mourir en héros. Il faut dire qu’il s’agissait d’une section de jeunes S.S. peu aguerrie qui se trouvait là prise au piège. Très vite les fanatiques prirent à partie les éléments qui tentaient de se rendre et en tuèrent un certain nombre. Devant l’apparente confusion et devant la détermination ennemie à ne pas céder les légionnaires passèrent à l’attaque, ouvrant les soupiraux au travers desquels ils lancèrent leurs grenades… Une grande partie de ce qui restait de la section ennemie trouva la mort dans l’affaire, et pour certains de façon assez peu glorieuse…

Le village est enfin pris et son nettoyage terminé. Il est 16 heures. Nous avons un tué et trois blessés graves.

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27 NOVEMBRE 1944 :

Nous passons en réserve mais vers le soir notre peloton vient renforcer un peloton de REC qui tient une tête de pont au nord du canal d’Alsace. Il gèle, un vent glacial et violent souffle. L’hiver ne fait que commencer. Nous savons qu’il va faire encore plus froid les prochains jours. Les brouillards tenaces enveloppent la campagne. Des trombes d’eau glacée la transforment en bourbier. Des vols d’oiseaux migrateurs passent en formation triangulaire. Au loin l’ennemi se renforce et se retranche solidement. Nous sommes rentrée en territoire ALSACIEN depuis le 23 NOVEMBRE et nous nous préparons à relancer notre offensive. La résistance ennemie opposée à nos troupes montre avec quelle rapidité le commandant de la 19e armée allemande qui est devant nous a organisé une position défensive relativement profonde et continue.

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Notre progression s’avère difficile. Il pleut sans arrêt. Le terrain boisé est miné et criblé de pièges. De temps en temps des tirs d’artillerie ennemis éclatent sur les arbres et projettent des éclats mortels dans les sous-bois. La cruauté de l’hiver 1944 n’épargnera ni notre ennemi, ni nous mêmes, il restera gravé à jamais dans l’esprit des combattants de quelque bord qu’il soient.

 

28 NOVEMBRE 1944 :

Souvent nous attendions pendant des heures que les moteurs de nos chars veuillent bien démarrer. Par cette température sibérienne, nous devions en effet faire tourner nos moteurs toutes les heures pour afin que l’huile ne gèle pas, mais nous avions quand même des problèmes de démarrage.

Depuis hier notre contact avec l’ennemi a été perdu, aussi notre progression se fait de plus en plus rapide. Notre offensive en Alsace a surpris toutes les formations adverses. Souvent il leur a fallu rappeler à la hâte des groupes de combat partis sur des chantiers de terrassement. Lorsque leurs éléments de couverture se mettaient en route vers le front, les vides se faisaient sensibles. Certains de leurs bataillons étaient réduits d’un tiers, comme s’ils avaient déjà livré un sanglant combat. Il fallait sans cesse les talonner, et pour ne pas être encerclés ils essayaient par tous les moyens de se dérober à notre pression. Nous poursuivions notre offensive sans jamais laisser à l’ennemi le temps de s’organiser en profondeur.

Notre liaison avec le 3e régiment de spahis marocains est réalisée, et c’est avec ses éléments que notre peloton nettoie le village de DIEFLATTEN.

 

29 NOVEMBRE 1944 :

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Alors que l’ennemi évacue le sud de la Doller, nous pénétrons sans combattre derrière le CC3 dans le village de Burnaupt-le-haut. Alors que le village nous fait bon accueil, l’ennemi en profite pour nous harceler par des tirs d’artillerie nourris et d’incessant mouvements.

Jamais notre artillerie n’a été autant sollicitée qu’aujourd’hui. Il est vrai que l’ennemi ne s’est pas encore enhardi à une approche aussi résolue mais il faut y parer avant qu’il ne soit trop tard. Nos patrouilles nous signalent quelques infiltrations en direction du village et sur les routes le bordant. Nous ne pouvons pas passer car le pont d’Aspach a été détruit et le Génie qui travaille à le remettre en état est sans cesse bombardé.

Nos chars se sont camouflés un peu partout dans les principales rues de telle sorte qu’on ne peut nous distinguer ni de côté, ni d’en haut. Au-dessus de nous les 88 et les « minens » déchirent le ciel. L’air vibre comme si des abeilles ou des moucherons s’agitaient au-dessus de nos têtes. Des salves meurtrières partent de tous les points de l’horizon et viennent atterrir sur les toits des maisons, les rues et les champs des alentours.

Si l’ennemi attaque, il ne parait pas en mesure de le faire avec des forces très importantes. S’il le faisait il serait immédiatement repoussé et contraint de nouveau à un long préparatif d’attaque. Il ne semble pas en mesure de rassembler l’effectif d’une division, volume nécessaire pour tenter d’effectuer une percée dans nos lignes.

Depuis aujourd’hui nous sommes à nouveau au contact…

 

30 NOVEMBRE 1944 :

Nous passons de nouveau en réserve d’armée, tandis que notre régiment est envoyé non loin de MULHOUSE. Notre escadron cantonne à 3 km de la ville de DIEDENHEIM.

 

Fin de la deuxième partie (à suivre)

Lien vers la première partie

Lien vers la troisième partie

Lien vers la quatrième partie

Bataille de Colmar

Lien vers la cinquième partie

Lien vers la sixième partie

 

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