Marquage
des chars du 1er cuirs et du 2e escadron fin 1944
19 NOVEMBRE 1944 :
La guerre était présente partout, elle était toujours là, elle
était encore là dans luniformité des coteaux tous semblables, tragiquement
monotones, comme si la vie les avait fuis.
Nous sommes relevés; on se repose un peu et à 17h30 lescadron
fait mouvement sur HERICOURT ou nous cantonnons dans un ancien hôpital. Je navais
jamais eu aussi froid que cette nuit-là depuis le début de loffensive. Nous
montons quelques lits de fortune à même le sol cimenté sous des galeries vitrées.
20 NOVEMBRE 1944 :
Le lendemain, on nous annonce que nous allons foncer sur lALSACE,
mais il y a un tel embouteillage que nous parcourons péniblement 25 km dans la journée.
Nous passons par MONTBELIARD.
21 NOVEMBRE 1944 - CONTRE-ATTAQUE ENNEMIE A
COURTELEVANT :

Nous devons nous porter sur le canal du Rhône au Rhin, mais
entre-temps une forte contre-attaque ennemie se déclenche à FAVEROIS. Il faut se mettre
en garde face au nord à COURTELEVANT. Aussitôt notre escadron est immédiatement
employé à la défense du village. Nous ne sommes plus que 9 chars sur 13. les 4 autres
se sont embourbés à cause de lembouteillage routier. Lennemi attaque avec
deux bataillons venant de NORVEGE, appuyés par une demi-douzaine de chars. Nous avons
devant nous les restes dune panzerdivision très mordante.
Face à nous dans la forêt, on ne distingue pas encore lennemi,
ni ses batteries, ni son infanterie mais nous savons quil va bientôt déboucher de
la lisière. De temps en temps avec son artillerie il tire sur nos positions. nous
harcelant de minendiefer.
Les collines des alentours se pavanent dans le brouillard de soufre et
le champ de bataille baigne déjà dans une boue jaunâtre mêlée de neige. Au fur et à
mesure que les pelotons de chars se présentent aux abords du village, chaque
aide-conducteur est réquisitionné avec sa mitrailleuse pour venir se poster dans un
repli de terrain favorable donnant ainsi un point dappui feu important. Tout autour
de nous notre infanterie est déployée et bien dissimulée, prête à subir le choc de
lennemi.
Les équipages ont loeil rivé sur leur périscope et sont
impatients de rentrer dans laction. Soudain sortant de la clairière, une première
vague ennemie savance sur une seule ligne en chantant.
On les laisse approcher au plus près puis nous ouvrons le feu. Un
déluge de balles de tous calibres fauche les rangs adverses. Aucun attaquant ne pourra se
relever. Une seconde vague dassaut se présente utilisant la même tactique que la
première, mais avec cette différence que plus personne ne chante
Elle est
anéantie comme la première! Une troisième vague encore plus impressionnante que les
deux précédentes se présente à son tour : le premier rang est également
complètement anéanti, le reste reculant en débandade. Ce jour-là des erreurs de
tactique avaient manifestement été commises par ce bataillon dinfanterie ennemi
qui sétait jeté contre nous.
De nombreux cadavres jonchent le champ de bataille. Ce bataillon avait
tenté dempêcher à tout prix larrivée dun convoi dessence
destiné au ravitaillement de la 1re Division Blindée à court de carburant.
Lennemi venait de subir un échec cuisant.
De notre côté nous déplorons la perte dun de nos chars et de
quatre hommes déquipage, tirés à 2 km de distance! Dautres chars furent eux
aussi touchés mais ne subirent que quelques dégâts matériels de moindre gravité.
22 NOVEMBRE 1944 :
Nous sommes au village de DESLE ou nous couchons dans des granges
Cest vers une heure du matin que nous fûmes réveillés par un puissant duel
dartillerie de part et dautre du front.
Le long de la route que nous avions emprunté pour parvenir
jusquici il y avait de nombreux chars ennemis et véhicules chenilles hors
dusage qui jalonnaient un chemin de terre parallèle, probablement bombardé par
notre aviation.
De partout lennemi fuyait en direction de lest à portée
de nos canons. Les colonnes sinfléchissaient pour échapper à notre coup de
boutoir. Nous avons eu deux blessés par des tirs dartillerie.
23 NOVEMBRE 1944 :
Notre escadron fait mouvement sur SEPPOIS (Haut-Rhin). Sur toutes les
routes menant vers lest roulent dinterminables colonnes de véhicules et de
blindés. Le nombre dengins est tel que des files interminables sétirent à
travers champs, laissant derrière elles des stries capricieuses dans la neige. Les
chenilles soulèvent des éclaboussures deau et de glace à travers dimmenses
flaques. Tout craque.
Nous passons la nuit à SEPPOIS.
24 NOVEMBRE 1944 :
Notre escadron va assurer la défense de CARSPACH, tout près
dALTKIRCH
26 NOVEMBRE 1944 : ATTAQUE DU VILLAGE DE
BALLERSDORF :

Notre approche sur le village de BALLERSDORF tenait du prodige. Le sol
où nous évoluons est dur comme de la pierre, les crevasses et les trous deau sont
recouverts d,une épaisse couche de glace, balayée par une poudre neigeuse. Il soufflait
ce jour-là un vent de neige froid, on entendait sans cesse laboiement dun
canon qui tirait on ne sait doù. Le ciel était bas et gris,et le brouillard
déformait toute chose semblant écraser nos colonnes en marche. Les hommes, les blindés
semblaient des fantômes de neige. Dés que nous fûmes à proximité du village, nous
aperçûmes quelques silhouettes qui se terraient craintivement dans des trous et des
caves et portes cochères.
Prés dun chemin de terre gisait un char ennemi disloqué qui
avait perdu ses chenilles. Il avait du recevoir un coup de plein fouet. Sa tourelle
portait de larges déchirures béantes.
Le corps du conducteur était encore à son poste affreusement mutilé,
méconnaissable. Une écume sanglante tapisse lintérieur de la caisse...
Après un moment dhésitation, nos sections dinfanterie
sincrustent dans quelques replis de terrain, dans des trous dobus à
proximité des premières maisons. Avant que les éclats dobus viennent cribler le
sol devant nos chars, mitraillette au poing, elles pénètrent prudemment dans le village.
Près de leurs pièces disloquées, deux soldats ennemis gisent
écartelés au milieu de sacs de sable éventrés. La façade dune maison qui devait
abriter les mitrailleuses dun point dappui ennemi est criblée dimpacts
de toutes sortes. Une odeur de poudre et de bois brûlé nous prend à la gorge. Quelques
obus viennent sabattre sur le village par intermittence.
Les légionnaires protégés par nos chars avancent mètre par mètre.
Un légionnaire dun geste prompt dégoupille une grenade et la lance. Un éclair
suivi dune explosion : des cris et des gémissements se font entendre.
Fortement soutenus par nos chars, linfanterie attaque sans relâche. Sous la
pression lennemi recule tout en combattant, ne se considérant pas comme battu. Il
lance des salves de minens dont les fragments viennent frapper les caisses de nos
chars. Malheureusement un de ces éclats vient frapper lun de nos chefs de char au
moment où il sort la tête de sa tourelle; il est tué sur le coup.
Les fantassins retiennent leur souffle et laissent passer le déluge.
Ils attendent. Plus que 400 mètres les séparent du bout du village doù lon
aperçoit la lisière de la forêt où le gros de lennemi sest replié. Nous
tirons comme des possédés. Les canons et les mitrailleuses de nos chars crachent la
mort.
Nous voulons en finir au plus vite car la nuit ne va pas tarder à
venir. Au milieu de la bataille la légion se trouve renforcée par un bataillon de jeune
F.F.I.. Plusieurs ennemis sont encerclés, réfugiés dans une cave. Les légionnaires
sapprochent prudemment, un des leurs savance et leur demande de se rendre sous
peine dêtre anéantis. Lofficier qui les commande refuse disant quil
préfère mourir pour son Führer que de subir la honte de la captivité. Les
légionnaires leur donnent encore un délai pour se décider. Un moment encore puis nous
voyons un drap blanc sortir dun soupirail; une trappe souvre, cest à ce
moment-là que des coups de feu éclatent à lintérieur de la cave. Nous-nous
demandons ce qui se passe... Nous ne saurons plus tard après linterrogatoire des
quelques rescapés faits prisonniers quau moment de lultimatum les uns
voulaient se rendre alors que ceux qui étaient les plus fanatiques voulaient mourir en
héros. Il faut dire quil sagissait dune section de jeunes S.S. peu
aguerrie qui se trouvait là prise au piège. Très vite les fanatiques prirent à partie
les éléments qui tentaient de se rendre et en tuèrent un certain nombre. Devant
lapparente confusion et devant la détermination ennemie à ne pas céder les
légionnaires passèrent à lattaque, ouvrant les soupiraux au travers desquels ils
lancèrent leurs grenades
Une grande partie de ce qui restait de la section ennemie
trouva la mort dans laffaire, et pour certains de façon assez peu glorieuse
Le village est enfin pris et son nettoyage terminé. Il est 16 heures.
Nous avons un tué et trois blessés graves.

27 NOVEMBRE 1944 :
Nous passons en réserve mais vers le soir notre peloton vient
renforcer un peloton de REC qui tient une tête de pont au nord du canal dAlsace. Il
gèle, un vent glacial et violent souffle. Lhiver ne fait que commencer. Nous savons
quil va faire encore plus froid les prochains jours. Les brouillards tenaces
enveloppent la campagne. Des trombes deau glacée la transforment en bourbier. Des
vols doiseaux migrateurs passent en formation triangulaire. Au loin lennemi se
renforce et se retranche solidement. Nous sommes rentrée en territoire ALSACIEN depuis le
23 NOVEMBRE et nous nous préparons à relancer notre offensive. La résistance ennemie
opposée à nos troupes montre avec quelle rapidité le commandant de la 19e
armée allemande qui est devant nous a organisé une position défensive relativement
profonde et continue.

Notre progression savère difficile. Il pleut sans arrêt. Le
terrain boisé est miné et criblé de pièges. De temps en temps des tirs
dartillerie ennemis éclatent sur les arbres et projettent des éclats mortels dans
les sous-bois. La cruauté de lhiver 1944 népargnera ni notre ennemi, ni nous
mêmes, il restera gravé à jamais dans lesprit des combattants de quelque bord
quil soient.
28 NOVEMBRE 1944 :
Souvent nous attendions pendant des heures que les moteurs de nos chars
veuillent bien démarrer. Par cette température sibérienne, nous devions en effet faire
tourner nos moteurs toutes les heures pour afin que lhuile ne gèle pas, mais nous
avions quand même des problèmes de démarrage.
Depuis hier notre contact avec lennemi a été perdu, aussi notre
progression se fait de plus en plus rapide. Notre offensive en Alsace a surpris toutes les
formations adverses. Souvent il leur a fallu rappeler à la hâte des groupes de combat
partis sur des chantiers de terrassement. Lorsque leurs éléments de couverture se
mettaient en route vers le front, les vides se faisaient sensibles. Certains de leurs
bataillons étaient réduits dun tiers, comme sils avaient déjà livré un
sanglant combat. Il fallait sans cesse les talonner, et pour ne pas être encerclés ils
essayaient par tous les moyens de se dérober à notre pression. Nous poursuivions notre
offensive sans jamais laisser à lennemi le temps de sorganiser en profondeur.
Notre liaison avec le 3e régiment de spahis marocains est
réalisée, et cest avec ses éléments que notre peloton nettoie le village de
DIEFLATTEN.
29 NOVEMBRE 1944 :

Alors que lennemi évacue le sud de la Doller, nous pénétrons
sans combattre derrière le CC3 dans le village de Burnaupt-le-haut. Alors que le village
nous fait bon accueil, lennemi en profite pour nous harceler par des tirs
dartillerie nourris et dincessant mouvements.
Jamais notre artillerie na été autant sollicitée
quaujourdhui. Il est vrai que lennemi ne sest pas encore enhardi
à une approche aussi résolue mais il faut y parer avant quil ne soit trop tard.
Nos patrouilles nous signalent quelques infiltrations en direction du village et sur les
routes le bordant. Nous ne pouvons pas passer car le pont dAspach a été détruit
et le Génie qui travaille à le remettre en état est sans cesse bombardé.
Nos chars se sont camouflés un peu partout dans les principales rues
de telle sorte quon ne peut nous distinguer ni de côté, ni den haut.
Au-dessus de nous les 88 et les « minens » déchirent le ciel.
Lair vibre comme si des abeilles ou des moucherons sagitaient au-dessus de nos
têtes. Des salves meurtrières partent de tous les points de lhorizon et viennent
atterrir sur les toits des maisons, les rues et les champs des alentours.
Si lennemi attaque, il ne parait pas en mesure de le faire avec
des forces très importantes. Sil le faisait il serait immédiatement repoussé et
contraint de nouveau à un long préparatif dattaque. Il ne semble pas en mesure de
rassembler leffectif dune division, volume nécessaire pour tenter
deffectuer une percée dans nos lignes.
Depuis aujourdhui nous sommes à nouveau au contact
30 NOVEMBRE 1944 :
Nous passons de nouveau en réserve darmée, tandis que notre
régiment est envoyé non loin de MULHOUSE. Notre escadron cantonne à 3 km de la ville de
DIEDENHEIM.
Fin de la deuxième partie (à suivre)
Lien vers la première partie
Lien vers la troisième partie
Lien vers la quatrième partie
Bataille de Colmar